20h00L'hélicoptère se posa au bord de la route, dans un des rares espaces ouverts et dégagées de végétations, au beau milieu des Catskill Mountains. Ils avaient localisé la maison de madame McKie en vol, et estimaient qu'elle se trouvait à environ trois cent mètres de la zone d'atterrissage.
Sheldon et Flack atteignirent leur cible à la vitesse de l'éclair.
Le détective s’avança le premier vers la porte d’entrée, puis se tourna vers Sheldon, lui faisant signe de le rejoindre. Ils approchèrent de la maison à couvert, armes dégainées, sans envisager une seule seconde d'attendre les renforts.
Un homme gisait sur le sol froid et sombre de la pièce insonorisée, un trou ensanglanté au milieu du ventre. Danny cligna des yeux pour essayer d'y voir plus clair, puis sentit qu'on lui détachait les poignets. Le son de la voix, derrière lui, couvrait peu à peu le bourdonnement dans ses oreilles, et il distingua quelques mots.
"… fini… sortir d'ici…"
Ses épaules courbaturées lui firent un mal de chien quand il retrouva sa liberté de mouvement. Il baissa la tête et vit que ses bras tailladés étaient couverts de sang séché, ainsi que ses mains, repliées en poings serrés. Il se demandait si tout ce sang lui appartenait vraiment, quand une ombre se plaça devant lui. C'était le visage de Mac.
Celui-ci avait enfin réussit à se détacher, après de longues heures d’efforts. Par le plus extraordinaire des hasards, la balle qui lui avait traversé le corps, avait également effleuré la corde qui lui maintenait les poignets. Il avait pu ainsi la sectionner plus rapidement, en la frottant contre le dossier abîmé de sa chaise.
En lui tirant dessus, McKie l’avait libéré. Et Mac s’était jeté sur lui, lui avait subtilisé son arme, et ne s’était pas embarrassé de scrupules avant de lui tirer une balle dans le ventre. Dans son état, la moindre seconde d’hésitation aurait pu lui être fatale, à lui comme à Danny.
Finalement, McKie avait mit lui-même fin à ce terrible cauchemar, et signé son arrêt de mort.
Malgré leurs blessures, ses deux otages se jetèrent dans les bras l'un de l'autre, mêlant ainsi leur soulagement, l'épuisement, quelques pleurs, et leur douleur. Ils avaient faim, et soif, et un besoin vital de retrouver enfin l'air libre et la lumière du jour, ou bien une nuit étoilée, peu importait du moment qu'ils sortaient d'ici.
Mac se releva, tant bien que mal, en tentant de dissimuler l'élancement cuisant qui s'empara du tout son côté droit. Ensuite il aida Danny à se mettre lui aussi debout. Mais après trente heures de tortures, enchaîné à un mur, pieds et poings liés, la tâche s'avéra très ardue. Il fallait y aller en douceur, et emmagasiner quelques forces avant de remonter vers la liberté. C'est alors que le regard de Danny se posa sur le corps de McKie, qui se vidait de son sang.
"Il est vivant…" dit Danny, en remarquant que son tortionnaire remuait encore.
"Il n'en a plus pour longtemps…" lui assura alors Mac.
Mais déjà, Danny s'était jeté sur McKie, et, penché au-dessus de lui, approcha son visage du sien. McKie n'était en effet quasiment plus de ce monde, mais il parvint tout de même à soutenir le regard noir et enragé de Danny: "Je veux te voir crever", siffla ce dernier entre ses dents. Mais il vit un sourire diabolique se dessiner sur le visage de McKie. Même aux portes de la mort, il se comportait comme le grand gagnant de la journée. C'était plus que Danny ne pouvait en supporter. Il leva ses bras en l'air et le frappa à la poitrine une fois, et puis une seconde fois, du plus fort qu'il pouvait. Sa rage lui faisait oublier à quel point ses coupures le brûlaient.
"Je vais t'oublier, tu m'entends?" lui promit-il. "Tout ce que tu m'as fait, je finirai par l'oublier…"
McKie ferma les yeux, et secoua la tête. Il ne voulait pas qu'une telle chose arrive un jour. C'était impossible… Danny desserra ses poings, plaqua ses mains de chaque côté du visage de McKie, et lui souleva la tête pour ensuite la taper contre le sol.
Flack défonça la porte et les deux enquêteurs s'engouffrèrent dans la maison. L'entrée, le living, et la cuisine étaient déserts. Ils s'apprêtèrent à poursuivre leurs recherches quand ils entendirent un cri provenant d’une autre pièce. Se retournant, ils devinèrent que ça venait de derrière une porte, menant probablement à un sous-sol. Ils pointèrent le canon de leurs armes dans cette direction et s’y dirigèrent rapidement.
En descendant les marches, ils réalisèrent que c’était Mac qui criait… et il y avait quelque chose de très inquiétant dans le son de sa voix.
"Pourquoi?!" suppliait Danny au mort. "Pourquoi t’as fait ça?"
"Ça suffit, c’est terminé!" lui répétait Mac, en essayant vainement de l’éloigner de McKie, et de l‘empêcher de continuer à le frapper."Laisse-le, maintenant… " l’implorait-il. Mais il n’ arrivait pas à le raisonner. Il était si faible…
Pourtant il insista quand il se rendit compte que Danny avait ses deux mains en sang sur le visage de son tortionnaire, et y enfonçait ses doigts comme pour lui arracher les yeux.
"Par pitié, Danny! Laisse-le!! IL EST MORT!!!"
S’il n’avait pas eu les mains aussi déchiquetées et brûlantes de douleur, Danny y serait certainement parvenu rapidement. Et Mac frémit en pensant que sans l’intervention de Sheldon et Flack, il aurait quand même fini par y arriver, tellement il était hystérique.
"ME TOUCHEZ PAS!!!" hurla Danny quand il se sentit soulevé de terre par deux bras puissants qui l’entouraient.
Il se débattit avec la force du désespoir, mais se lamenta en constatant qu’il n’y avait rien à faire pour fuir cette étreinte forcée… "Nooooon… Me touchez pas!" pleura-t-il "Lâchez-moi, j’en ai assez!"
"Chhh… c’est fini…" entendit-il au creux de son oreille. "C’est fini, Danny, il ne te fera plus aucun mal, je te le promets…"
La voix, c’était pas celle de Mac. Mais il la connaissait bien. Très bien, même. Bon sang, qui ça pouvait être?
Brusquement, il sentit deux autres mains lui prendre le visage, et il aperçut un visage, encore une fois familier… Mais pourquoi n’arrivait-il donc pas à les voir? Tout était si flou, et sombre…
"Je dois lui dire d’arrêter… DITES-LUI QU‘IL FAUT QU‘IL ARRÊTE!!" rugit Danny.
"Il est mort."
"Non… je l’ai vu bouger!" supplia-t-il obstinément pour qu’on le croit enfin.
"Danny, regarde-moi!"
Les deux mains étaient si douces, et en même temps si fermes qu’il se sentit trembler entre elles.
"Mais…" s’indigna-t-il. "Faut lui dire… QU‘IL ARRÊTE!"
"Danny…" intervint Don, derrière lui, toujours avec douceur. "Calme-toi…"
Quant à Sheldon, il le força à le regarder lui, et de cesser de remuer ses yeux en tous sens, comme un dément. Il se mit à lui caresser doucement la joue. Il avait le cœur broyé devant la souffrance de leur ami. Il ne voulait pas le perdre, le voir devenir fou sans rien pouvoir faire.
Don le serrait contre lui, et fermait les yeux pour empêcher ses larmes de couler. Il savait que Danny avait besoin d’eux, et tout de suite. Il savait qu’ils devaient l’empêcher de se briser en mille morceaux, et pour ça, il fallait qu‘ils soient forts.
"Il est mort?" finit par demander Danny, avec incrédulité.
"Il n’y a aucun doute là-dessus", lui répondit Sheldon sur un ton catégorique.
Danny parvint finalement à soutenir son regard.
"Ça me fait tellement mal…" chuchota-t-il d‘une voix brisée.
"On va te soigner, d’accord? Toi, et Mac. On va vous amener à l’hôpital. Tout va bien se passer, vous n’avez plus rien à craindre", lui assura Sheldon avec une profonde tristesse, mais qu’il essayait au mieux de dissimuler.
Peu à peu, Don desserra son emprise sur son meilleur ami, rassuré de le sentir lentement se détendre…
"Doc?" gémit alors Danny, comme s’il venait seulement de reconnaître l‘homme qui maintenait toujours son visage entre ses mains.
"Quoi?"
"Je veux sortir d’ici…"
Sheldon avala difficilement sa salive, à cause de la boule qui s’était formée dans sa gorge. Et puis il lui sourit. Et son sourire provoqua en Danny comme une sorte de déclic. Il se mit à sangloter, et à pleurer avec force, mais cette fois, il était là, près d’eux. Son hystérie s’évaporait. Sa peur s’envolait… Et laissaient place à un immense soulagement.
Il n’avait pas oublié qui il était vraiment.
21h00A travers ses paupières closes, la lumière se fit un peu plus vive. Il avait la gorge sèche, mais bizarrement il n'avait plus faim. Et puis l'air lui semblait moins vicié et oppressant. Et Don était quelqu'un de très confortable. Se blottir contre lui avait même quelque chose de très étrange. C'était douillet et... engourdissant. Car même si elle semblait toujours là, quelque part à l'affût, la douleur s'était dissipée, comme une trace de pas dans la neige. Ou plutôt... dans le sable, car il n'avait plus froid.
Cependant, il tenta de remuer un peu, et réalisa que peut-être il n'était plus dans les bras de son ami.
Et en tendant l'oreille, il réalisa autre chose. Au lieu du silence ou des cris, il entendait le léger brouhaha d'une discussion. Il n'était donc plus dans cette cave froide et sombre, terrifiante et silencieuse, qu'était devenue la tombe de son tortionnaire, mais...
"Regardez qui voilà!" entendit-il.
C'était une voix féminine très douce, qu'il connaissait bien.
Allongé sur le côté, les bras repliés contre lui, Danny avait sa tête à moitié enfouie dans un oreiller. Alors il pivota un petit peu, et ouvrit lentement les yeux, s'habituant peu à peu à la lumière et à la blancheur de la chambre d'hôpital. Ils étaient tous là... Il ne les vit pas distinctement, mais les devinait parfaitement. Don était assis sur le lit, à ses pieds. Il vit le bleu de ses yeux, et son sourire en coin, heureux. Sheldon était debout, appuyé au pied du second lit de la chambre. Le blanc de son grand sourire, contrastait avec la lueur légèrement préoccupée de son regard. Quant à Lindsay, la plus éloignée, elle se tenait debout près de la fenêtre, les bras croisés. Elle semblait fatiguée, mais incroyablement soulagée. Stella, elle, était assise près de lui, sur une chaise entre les deux lits. Elle penchait la tête de côté, avec une expression de bienveillance sur le visage. La voix douce, c'était elle. Il n'en manquait plus qu'un...
"Mac?" demanda Danny d'une voix faible et éraillée.
Stella se fendit alors d'un beau sourire, puis se leva pour se pencher au-dessus de lui. Là, elle lui caressa les cheveux, puis déposa un baiser sur son front: "Grâce à toi, on va devoir le supporter encore quelques années..." lui glissa-t-elle, avant de rejoindre Flack et Sheldon qui échangeaient un regard interdit.
Ça amusa beaucoup Mac, installé sur le lit d'à côté.
Il semblait incroyablement bien remis de sa blessure par balle, et plutôt serein.
Danny tendit son bras vers lui, et Mac lui prit la main, précautionneusement, d'un geste à la fois léger et réconfortant. Ce geste, et leur regard signifiaient tant de choses... Ils n'avaient même plus besoin de se parler pour se comprendre. Une telle épreuve laissait des traces parfois indélébiles, des cicatrices, et la victoire avait le goût de l'amertume. Mais ils s'en étaient sortis, et le lien qui les unissait à présent était plus fort que tout.
Danny replia son bras contre lui. Il se sentait tellement lourd, et ankylosé, qu'il avait l'impression d'être enfermé dans de la gelée. Ses mouvements étaient horriblement ralentis, parfois douloureux.
"Je crois qu'on devrait..." fit Sheldon en faisant un geste en direction de la sortie.
Tous tombèrent d'accord, et il y eut une sorte de vague mouvante, comme un train sur le départ qui s'ébranle. Stella embrassa Mac sur le front, lui faisant promettre de bien se reposer. Elle souhaita ensuite une bonne nuit à Danny, agrémentée d'un clin d'oeil complice. Puis ce fut au tour de Sheldon. Visiblement, il ne sut pas trop quoi dire à Danny. Alors celui-ci se redressa, s'appuya sur son coude, et entoura son ami de son bras libre. Il le serra quelques secondes contre lui. C'était pas grave, s'il ne trouvait pas de mots pour exprimer ce qu'il ressentait. Tout ce qui comptait, c'était qu'il soit là, tout simplement.
"A demain, Danny", lui dit finalement Sheldon.
"A demain, doc. Rentre vite te coucher, t'as une sale tête."
"Je te remercie, toi aussi..." répliqua celui-ci, hilare.
"Montana, toi je t'ai pas oublié..." murmura Danny à sa collègue quand elle s'approcha de lui.
Mais seul Mac pouvait vraiment comprendre ce que ça signifiait.
"J'espère bien que non..." dit-elle en acceptant à son tour l'étreinte qu'il lui offrit. Elle lui caressa le dos, et ajouta: "C'est vrai que Sheldon a une drôle de tête. Il devrait prendre exemple sur toi."
"Vraiment? J'ai dormi combien de temps?" demanda alors Danny, ignorant à la fois combien de temps il avait passé entre les mains de McKie, et quelle heure il était à présent.
C'était déjà au tour de Don. Il serra chaleureusement la main de Mac, puis se tourna vers Danny: "Tu as fait le tour de l'horloge", lui apprit-il. "Deux fois."
"C'est possible, ça?" murmura Danny d'une voix qui s'évanouissait peu à peu, découvrant l'étreinte chaleureuse et tendre du détective.
"Tu en es la preuve vivante", lui glissa ce dernier, doucement, à l'oreille.
Ils restèrent quelques secondes serrés l'un contre l'autre, bercés par l'écho de ce seul mot.
Vivants.
Puis Don lui tapota le dos, et le laissa se recoucher. Danny sentait qu'il n'allait plus pouvoir maintenir ses yeux ouverts très longtemps. il avait dormi vingt-quatre heures d'affilée, et il se sentait déjà happé inexorablement par le sommeil, encore...
"Alors pourquoi je me sens toujours si fatigué?" se demanda-t-il.
"Peut-être parce qu'il est presque dix heures du soir, et que c'est l'heure de se rendormir", intervint alors Mac, préférant cette hypothèse à toutes les autres qui leur venaient tous les deux à l'esprit.
"Mmmm...? Ça doit être ça", lui accorda Danny, en faisant un dernier signe d'au revoir à leurs acolytes, qui s'éclipsaient dans une atmosphère joyeuse mais calme. "Bonne nuit..." lança-t-il faiblement, avant de s'endormir presque aussitôt.
Il avait dorénavant l'assurance qu'à son réveil, tout irait encore mieux, et qu'il ne serait pas seul.
"Bonne nuit, Danny", lui murmura Mac, d'une voix empreinte de peine, mais aussi d'une énorme reconnaissance.
Il ne ferma quasiment pas l'oeil de la nuit, trop occupé qu'il était à veiller sur son protégé.
fin